Mon expo vandalisée par des homophobes à Paris : je suis horrifié, mais je les remercie
L'exposition "Les couples imaginaires" a été vandalisée vendredi et samedi à Paris. Ces photos montrant des couples homosexuels fictifs mettaient en scène plusieurs personnalités, comme François-Xavier Demaison et Antoine de Caunes. Olivier Ciappa, photographe à l'origine du projet, est blessé, mais plus que jamais déterminé à lutter contre l'homophobie.
Depuis le 13 juin, les photos de mon exposition "Les Couples imaginaires" étaient visibles autour de la mairie du 3e arrondissement, à Paris. Des images tendres, apaisantes, de tandems homosexuels ou de cellules homoparentales, tantôt de véritables familles, tantôt des couples inventés sous mon objectif par des personnalités majoritairement françaises issues du cinéma, de la chanson, de la politique et du sport.
Eva Longoria enlacée avec Lara Fabian, Roselyne Bachelot au coin du feu avec Audrey Pulvar, Élie Semoun et Jean-Paul Rouve en train de bercer un bébé... Le tout dans une intimité réaliste et sincère.
Diffusées depuis neuf mois sur les réseaux sociaux et dans la presse avant d’être proposées au regard des Parisiens, ces images ont eu, comme j’ai pu le constater à travers d’innombrables messages spontanés, un impact positif considérable. Là où les débats sur le mariage pour tous venaient de consacrer la résurgence d’une haine homophobe qu’on croyait disparue, elles ont, à leur échelle, réussi à ramener non seulement la paix, mais aussi l’adhésion, voire l’émotion, autour de l’homosexualité.
Grâce à la visibilité que leur ont conférée les premiers jours de mon exposition, les passants ont ainsi pu entrer en contact direct avec des portraits de couples de même sexe ou de familles homoparentales, à des années-lumière des stéréotypes véhiculés ces derniers mois avec une complaisance, une sournoiserie, une bêtise et, parfois, une brutalité cauchemardesques.
À travers cette barbarie, c'est à mon combat qu'on s'attaque
Et voilà qu’au matin du samedi 22 juin, je reçois un appel du maire du 3e arrondissement : "Olivier, vos photos ont été vandalisées pendant la nuit. Les visages ont été lacérés, les yeux ou les oreilles arrachés".
Je me suis immédiatement rendu sur place pour constater les dégâts. Quelle violence ! Alors qu’elles ne montraient que de l’amour, mes photos avaient été profanées, mutilées, assassinées. Mais à travers cette barbarie, c’étaient mes idées, mon combat et, surtout, des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants et de familles qu’on venait de balafrer dans leur droit le plus élémentaire : s’aimer librement, sans empiéter à aucun moment sur le territoire des autres.
Plus je contemplais les dégâts, moins je pensais à mes photos. J’entendais des cris, je voyais du sang, je humais la mort. Hier, un couple de garçons "coupables" de se tenir par la main s’est fait rectifier le portrait. Aujourd’hui, des ciseaux et des cutters s’en prennent à des images. Et demain ?
Je suis horrifié, mais je n’ai pas peur. J’ai mal, mais j’ai confiance. Les larmes me montent aux yeux, mais j’ai envie de sourire. Car en agissant ainsi, les auteurs de ces "crimes" virtuels sont sans le savoir tombés dans le piège béant que ces photos leur tendaient.
Mon travail les a poussés à sortir du bois
De la même manière qu’un vaccin inocule à l’organisme le virus qu’il entend combattre ou que des fumigènes incitent les taupes à remonter en surface, la vision de mon travail les a poussés à sortir du bois, à signaler leur présence mieux que ne l’auraient fait des rayons X, à transformer leur lâcheté anonyme en forfait signé de leur main. De microbes dangereusement indétectables, ils sont devenus poussée d’eczéma parfaitement localisée, et donc bien plus facile à résorber.
Merci à eux de s’être ainsi manifestés. Merci à eux d’être passés sous le faisceau des caméras de surveillance. Merci à eux d’offrir à la police d’aussi belles pièces à conviction. Merci à eux de décupler en moi le désir et la force de leur prouver à quel point ils ont tort.
Et demain ?, disais-je.
Demain, toujours à la mairie du 3e arrondissement, ces mêmes photos feront l’objet d’un nouveau tirage. Elles seront exposées au côté des clichés massacrés, afin d’offrir au public la possibilité de tirer ses propres conclusions, d’imaginer sa propre histoire, de ressentir ses propres émotions, d’être "pour", d’être "contre" et, qui sait, d’orienter son premier jugement dans une autre direction.
Demain, notre bataille reprendra de plus belle
Demain, l’exposition similaire qui aurait dû s’arrêter fin juin à la mairie du 10e sera prolongée jusqu’au 6 septembre.
Demain, c’est dans un format XXL que la ville de Paris la démultipliera.
Demain, avec le soutien des associations Aides, Le Refuge et du laboratoire Négatif+, "Les Couples imaginaires d’Olivier Ciappa" s’exposeront dans la France entière, mairies, centres commerciaux, gymnases, salles de spectacles et autres lieux publics, en intérieurs comme en plein air, sur simple demande des autorités intéressées.
En novembre, elles partiront avec Aides à la conquête des pays où l’homosexualité est encore passible de prison, quand elle ne débouche pas sur la peine de mort. Et elles y orneront le fronton des ambassades des pays qui, comme le nôtre, défendent la liberté d’aimer.
Demain, la bataille, la mienne, la vôtre, la nôtre, reprendra de plus belle. Et si vous connaissez des personnalités dont l’aura culturelle, politique ou sportive est à vos yeux susceptible de la porter fièrement sur la scène internationale, faites-le savoir [1].
La beauté contre la laideur. L’amour contre la haine. L’art contre l’aveuglement. Le droit contre la répression. Armés de simples images, nous n’allons sans doute pas changer le monde. Mais nous allons tout faire pour qu’il entende notre voix. Demain commence aujourd’hui.
source:nouvelobs.com