Le réalisateur Alain Guiraudie : « Il y a assez peu de films qui montrent les gens faire l’amour »
Doublement récompensé au Festival de Cannes pour son quatrième long-métrage L’Inconnu du Lac, Alain Guiraudie, 49 ans en juillet, était de passage mardi 18 juin pour présenter son dernier film, à l’Utopia Toulouse. Le cinéaste à l’accent chantant, houppette grisonnante, originaire de l’Aveyron, a accepté de répondre aux questions de Carré d’Info pour discuter de cinéma, de sexe et de la réception de son film. Rencontre.
Alain Guiraudie est peut-être le genre de cinéaste qu’on apprécie bien : sympathique et discret, toujours modeste après plus de vingt ans derrière une caméra. Au cœur de ses films: la ruralité, les classes populaires et l’homosexualité. L’Inconnu du Lac, quatre ans après le Roi de l’Evasion, est au confluent de ces trois thèmes, et fait le récit d’un polar avec pour décor un lieu de drague gay au bord d’un lac du Midi de la France. L’histoire de la passion, du désir, et de la mort également. Le film est sorti en salle le 12 juin.
Pourquoi avez-vous choisi la drague homosexuelle comme toile de fond ?
L’Inconnu du Lac est né du lieu que je connaissais et des trois personnages, d’une affaire très sexuée, et en contre point d’une affaire de cœur moins sexuée. Je voulais montrer ce côté un peu hédoniste de la drague, qui a même été un peu utopiste. Je n’aime pas trop le terme d’utopiste parce que ça existe encore : c’est-à-dire ce côté direct, très libéré, très émancipé, etc. Dans les années soixante-dix, le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) avait pour slogan : « Prolétaires de tous les pays, caressez-vous ! », et aujourd’hui on manifeste pour le mariage homosexuel. Pour rentrer dans le vif du sujet, pour moi, il y a quand même un truc qui s’est perdu. Je suis toujours un peu resté attaché à cette espèce de drague sauvage, même à ces lieux qui sont finalement des vrais espaces démocratiques. Quand on voit comment le business a repris les choses en main…
J’aime bien ces histoires de huis-clos à ciel ouvert.
Je pense que c’est aussi par rapport à une normalisation de l’homosexualité, qui a tendance à ne pas me plaire, mais en même temps, je m’en fous un peu. C’est plus l’idée de cette course effrénée au plaisir. Je n’ai pas forcément la nostalgie de ces endroits-là dans la mesure où je sais les retrouver, mais je ne sais pas jusqu’à quand effectivement. Et puis, c’est au grand air, je ne voulais pas enfermer mon film dans une vision glauque de l’homosexualité.
Souvent dans vos précédents films comme le Roi de l’évasion, l’action se passe en milieu rural. Pourquoi ?
C’est mon monde, c’est aussi simple que ça. On se rend compte qu’il n’y a pas tant de cinéastes qui vont dans les paysages, qui vont dans la nature, et ça me paraît important. Et puis, je voulais vraiment faire un film sensuel. La sensualité ça a aussi à voir avec ce lac, avec le vent dans les arbres, le ciel, la terre, l’eau, les éléments, etc. J’aime bien ces histoires de huis-clos à ciel ouvert. D’un point de vue esthétique, les intérieurs ça me pèse. Même d’un point de vue pratique, je ne suis pas très heureux quand je tourne en intérieur, ça me fait vite chier.
Vous avez déclaré ne pas vouloir « abandonner le sexe à la pornographie ». Pourquoi ?
On a tendance à ranger le sexe du côté de la pornographie, parce que ce serait quelque chose de sale. Il faut l’en sortir parce que ça fait partie intégrante de l’amour, de la passion, etc. Le sexe, ce n’est pas une mince affaire dans toutes ces choses-là, c’est important de réunir les deux. Quand je dis sortir le sexe de la pornographie, c’est évidemment sortir le sexe explicite et non simulé pour le rendre au cinéma. Ça reste toujours la grande énigme au cinéma, la grande ellipse. Il y a assez peu de films qui montrent les gens faire l’amour. On est souvent dans les grands clichés.
Ça me désole beaucoup qu’on puisse éventuellement penser qu’on peut protéger ses enfants de l’homosexualité et qu’il soit souhaitable des les en protéger.
D’ailleurs, par rapport à L’Inconnu du Lac, comment vous avez tourné ces scènes de sexe et comment avez-vous travaillé avec les acteurs ?
Déjà, on a beaucoup discuté de savoir comment j’envisageais les choses, jusqu’où je voulais emmener les comédiens, jusqu’où eux voulaient bien aller. On s’est mis au clair par rapport à ça. Il y avait des comédiens qui incarnent les vrais protagonistes, et il y avait des doublures pour les scènes de sexe non-simulées. L’idée, c’était de mélanger les deux, et puis les comédiens, ça les rassurait de savoir qu’il y avait des doublures, c’est-à-dire que ce soit pris en charge par quelqu’un d’autre. On a beaucoup répété aussi : je les dirigeais, c’était des questions de positions, d’enchaînement de positions. On a mis ça au point comme on met au point une chorégraphie.
Avez-vous été surpris de la réception, du succès, du fait d’avoir reçu la Queer Palm à Cannes, par exemple ?
La Queer Palm, c’est un truc qui me gêne un peu aux entournures. Ça réenferme l’homosexualité dans sa marginalité ; alors que j’ai cherché à faire le contraire dans le film, à l’en sortir. J’ai quand même un peu rappelé au moment de la réception de la palme que « queer », ça veut dire « étrange », « bizarre », même si ce n’est plus vraiment utilisé dans ce sens-là aux Etats-Unis. Dans l’Inconnu du Lac, j’ai voulu sortir l’homosexualité de son étrangeté, de sa marginalité.
L’idée, c’était aussi de parler de choses qui concernent tout le monde : homosexuels, hétérosexuels, jeunes, vieux, noirs, blancs, comme la grosse énigme du désir et de la mort. Et puis, parler d’un microcosme, d’un petit monde très singulier, très particulier, mais que ça puisse parler à tout le monde, pour qu’on oublie que c’est un petit monde. J’ai été surpris par la réception. Je m’attendais à quelque chose de plus mitigé, des avis plus tranchés, y compris en défaveur du film : c’est-à-dire des gens qui refusent le film, des gens qui le trouvent vachement bien. En ce sens-là, j’ai été surpris par l’unanimité.
Quelle est votre réaction suite à la censure de vos affiches à Versailles et à Saint-Cloud ?
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Ils ont l’air cons et ça a optimisé la campagne d’affichage : ça m’a fait une bonne pub. Passé ça, c’est vrai que ça m’a quand même saoulé qu’on retire une affiche même si c’est une municipalité de droite de l’Ouest parisien. Je le sens clairement comme une rancœur post-bataille pour le mariage pour tous. Ça me saoule qu’on enlève une affiche pour ça. Ce sont des plaintes de familles qui veulent protéger leurs enfants de l’homosexualité en cachant à leur vue des images d’hommes qui s’embrassent entre eux. Ça me désole beaucoup qu’on puisse éventuellement penser qu’on peut protéger ses enfants de l’homosexualité et qu’il soit souhaitable des les en protéger.
source:http://carredinfo.fr