Relations franco-allemandes : Jean-Louis Borloo contre les "dérives germanophobes"
Jean-Louis Borloo a choisi de s'exprimer "après avoir attendu, en vain, que François Hollande prenne la parole", dans la polémique autour des critiques socialistes sur la politique d'Angela Merkel, précise son équipe. Le président de l'Union des démocrates et indépendants adresse, lundi 29 avril, deux lettres ouvertes, que Le Monde.fr publie ci-dessous, au président de la République et à la chancelière allemande. "Ces dérives germanophobes et anti-européennes sont trop graves pour que vous ne preniez pas la parole", lance-t-il au chef de l'Etat. A Mme Merkel, il présente "solennellement" des excuses.
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"Le projet de résolution du Parti socialiste ainsi que des déclarations de certains membres de votre gouvernement et de votre majorité, sont consternants et d'une extrême gravité", écrit M. Borloo, en référence au texte élaboré par le PS pour critiquer la politique d'austérité prônée en Europe par le pouvoir allemand. "Face à vos échecs économiques et sociaux, vous cherchez des boucs émissaires : ce fut tout d'abord votre prédécesseur, puis les entrepreneurs de notre pays. Maintenant, le nouveau responsable désigné est l'Allemagne en la personne de sa chancelière, madame Angela Merkel", accuse le centriste, qui lance à M. Hollande : "Que penserait François Mitterrand d'une telle attitude ?"
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"CETTE AMBIGUÏTÉ AUJOURD'HUI DÉMASQUÉE"
Les attaques des socialistes contre les dirigeants allemands sont plus que de "simples couacs", écrit encore M. Borloo dans sa lettre au président français : c'est "une ambiguïté par laquelle vous êtes arrivé au pouvoir et que vous avez savamment entretenue afin de satisfaire votre majorité. Cette ambiguïté aujourd'hui démasquée risque d'emporter des conséquences dramatiques et profondes. Votre silence devient assourdissant. Vous devez parler aux Français, et par là même aux Allemands", assure le centriste, suggérant que M. Hollande invite "de toute urgence" Mme Merkel ou lui rende visite.
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A la chancelière allemande, M. Borloo adresse ses regrets, à propos des critiques socialistes : "Président du l'Union des démocrates et indépendants, classée au centre droit, grande héritière de la construction européenne et de l'amitié franco-allemande, je peux vous affirmer que de telles déclarations n'engagent que leurs auteurs. Elles n'engagent ni le peuple français, dans sa très grande majorité, ni les parlementaires français, qu'ils soient du centre bien entendu mais aussi de droite et de gauche", argumente-t-il, présentant des "excuses".
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Monsieur le président de la République,
Le projet de résolution du Parti socialiste ainsi que des déclarations de certains membres de votre gouvernement et de votre majorité, sont consternants et d'une extrême gravité. La France, l'un des pays qui fonda l'Union européenne dans un extraordinaire élan de réconciliation franco-allemande après tant de drames, ne peut être prise en otage par les propos de quelques-uns.
Nous avons cru que face à un sujet aussi grave, vous vous exprimeriez d'une voix forte et claire. Mais, malheureusement, à cette heure-ci, il n'en est rien.
Les difficultés auxquelles la France doit faire face, sa compétitivité, les charges pesant sur ses entreprises, la crise du logement ou bien encore celle de son système éducatif, son mille-feuille administratif, ne dépendent que de nous, ni de l'Europe, ni de l'Allemagne.
Cette cacophonie, qui prend une ampleur insensée, n'est pas nouvelle. Pour être élu président de la République, vous aviez promis de réviser le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance afin sans doute de donner quelques gages à votre gauche, tout en sachant pertinemment qu'une telle révision était impossible, puisque vingt-cinq pays avaient déjà signé ce Traité que vous avez d'ailleurs fait voter par le Parlement français, dès juillet dernier.
Cette ambiguïté européenne, qui a marqué le début de votre quinquennat, se poursuit et s'accroit de manière dramatique.
Il convient de rappeler que ce n'est ni l'Allemagne, ni la Commission européenne qui ont rédigé vos engagements de campagne concernant la réduction des déficits publics et l'équilibre budgétaire de la France. Face à vos échecs économiques et sociaux, vous cherchez des boucs émissaires : ce fut tout d'abord votre prédécesseur, puis les entrepreneurs de notre pays. Maintenant, le nouveau responsable désigné est l'Allemagne en la personne de sa chancelière, madame Angela Merkel.
Le climat germanophobe que, par votre silence, vous contribuez à entretenir et à amplifier, est inacceptable, lorsque l'on connaît les cicatrices du passé. Tous vos prédécesseurs, quelles que furent leurs difficultés politiques en France, ont toujours maintenu ce Pacte franco-allemand. Que penserait François Mitterrand d'une telle attitude ?
Au plus vite, une plateforme économique franco-allemande doit être recherchée d'ici le sommet du mois de juin.
Monsieur le président, ne vous y trompez pas, l'ensemble des forces politiques allemandes est choqué. Vous ne devez plus rester silencieux.
Plutôt que de vous rendre au Congrès du SPD le 23 mai, en pleine campagne électorale allemande, vous devriez de toute urgence inviter madame la chancelière ou lui rendre visite afin de confirmer solennellement et fortement tant vos engagements européens que la priorité absolue de l'amitié franco-allemande.
Ces dérives germanophobes et anti-européennes sont trop graves pour que vous ne preniez pas la parole. Il ne s'agit plus de simples couacs, mais d'une ambiguïté par laquelle vous êtes arrivé au pouvoir et que vous avez savamment entretenue afin de satisfaire votre majorité. Cette ambiguïté aujourd'hui démasquée risque d'emporter des conséquences dramatiques et profondes. Votre silence devient assourdissant. Vous devez parler aux Français, et par là même aux allemands.
Je vous prie de croire, monsieur le président de la République, en l'expression de ma très haute considération.
Jean-Louis Borloo
Madame la chancelière,
Les déclarations du candidat François Hollande prétendant renégocier le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance signé par vingt-cinq pays, avaient suscité à l'époque une grande incompréhension partout en Europe et notamment en Allemagne.
Ce gage impossible donné par le candidat socialiste à son aile gauche durant l'élection présidentielle explique, sans pour autant la justifier, la cacophonie actuelle de la gauche française. Les difficultés politiques de notre gouvernement et de sa majorité accentuent le phénomène.
C'est en effet comme cela qu'il faut interpréter la lamentable polémique actuelle : trouver un responsable aux difficultés de la France.
Président du l'Union des démocrates et indépendants (UDI), classée au centre droit, grande héritière de la construction européenne et de l'amitié franco-allemande, je peux vous affirmer que de telles déclarations n'engagent que leurs auteurs. Elles n'engagent ni le peuple français, dans sa très grande majorité, ni les parlementaires français, qu'ils soient du centre bien entendu mais aussi droite et de gauche. Aussi, je tiens solennellement à vous présenter nos excuses pour de telles prises de position.
Les pays ont des cycles. L'Allemagne, il y a moins de quinze ans, devait faire face à de très grandes difficultés et a su prendre des mesures adaptées. A son tour, la France connaît un cycle extrêmement difficile, mais, au-delà des contingences politiques à court terme, saura se redresser.
Il est indispensable de définir un nouveau projet européen, et d'ici le sommet de juin une nouvelle plateforme économique européenne. Préalablement, j'ai demandé au président de la République française de s'exprimer de toute urgence afin de sortir de cette incroyable et malsaine cacophonie. Je crois tout aussi indispensable qu'il vous rencontre urgemment.
Veuillez croire, madame la chancelière, en l'expression de ma très haute considération.
Jean-Louis Borloo
source:lemonde.fr