Disparu depuis le début du mois d’août, le chanteur russe Zelimkhan Bakaev aurait trouvé la mort dans l’une des prisons tchétchènes consacrées aux arrestations arbitraires de personnes homosexuelles.
Le 8 août 2017, le chanteur russe homosexuel Zelimkhan Bakaev s’est rendu à Grozny, la capitale tchétchène pour le mariage de sa sœur. Si son avion a bien atterri, ses proches ne l’ont jamais vu. Selon les informations des ONG LGBT russes, le jeune homme de 26 ans aurait été arrêté dès son arrivée et incarcéré dans l’une des prisons secrètes du pays où il aurait trouvé la mort. Les autorités tchétchènes tentent de faire croire qu’il serait toujours en vie et qu’il serait parti vivre en Allemagne.
Au mois d’avril, le journal indépendant Novaïa Gazeta révélait comment le gouvernement avait instauré une véritable traque des homosexuels, emprisonnés, torturés, voire même exécutés. Arnaud Gauthier-Fawas, porte-parole en charge des questions internationales pour l’inter-LGBT fait le point sur cet assassinat.
Quelles informations avez-vous sur la disparition de Zelimkhan Bakaev ?
Arnaud Gauthier-Fawas – D’après les informations que l’on a obtenues avec les ONG russes qui travaillent sur le terrain, il serait bien décédé dès le mois d’août dernier, quelques jours après son arrestation. La seule preuve matérielle que nous détenons pour le moment est la facture de son billet d’avion, un vol Moscou-Grozny dans lequel il est monté au début du mois d’août pour se rendre au mariage de sa sœur qui avait lieu en Tchétchénie.
Depuis, aucun de ses proches n’a eu de ses nouvelles. Les ONG sur place ont réussi à recouper plusieurs éléments révélant qu’il aurait été arrêté tout de suite après son arrivée à l’aéroport et transféré dans une prison située à deux kilomètres de Grozny, où ont sont incarcérés la majorité des homosexuels arrêtés dans le pays.
On sait que les autorités tchétchènes mènent une véritable purge contre les homosexuels qui sont enfermés, torturés et parfois tués dans cette prison, comme l’a notamment révélé Novaïa Gazeta en avril dernier. Depuis, plusieurs personnes ont disparu, mais en l’absence de corps, il est très compliqué de prouver qu’ils ont été exécutés. C’est le principe des disparitions forcées instaurées dans la plupart des grandes dictatures du monde.
Combien d’homosexuels ou d’hommes supposés tels ont disparu à ce jour en Tchétchénie ?
Selon nos chiffres du mois de juin, six corps provenant de cette prison ont été retrouvés, comme nous l’ont indiqué nos collègues dans nos bureaux à Moscou de l’ONG Russian LGBT Network qui ont recoupé les informations. Et plus de 200 personnes ont été arrêtées. Ces chiffres datent du début de l’été, mais nous savons que les disparitions ont encore augmenté depuis.
Pour prouver que Zelimkhan Bakaev est en vie, les autorités tchétchènes s’appuient sur une vidéo postée sur YouTube le 24 septembre. Un homme s'y présente comme le chanteur et affirme qu’il se trouve en Allemagne. Ce montage est-il authentique d’après vous ?
Il y a trois informations importantes pour prouver que la version des autorités tchétchènes est bidon. La première, c’est le témoignage de sa mère qui a immédiatement signalé sa disparition. Elle nous a expliqué que son fils avait l’habitude de la prévenir systématiquement de ses voyages. Or, ici il ne lui a jamais dit qu’il quittait le territoire russe pour se rendre en Allemagne. Le deuxième élément, ce sont ses amis qui nous ont dit qu’il ne possédait pas de visa Schengen. Donc il n’a pas pu rentrer sur le territoire allemand.
Enfin, la vidéo en elle-même comporte plusieurs éléments douteux. Le profil YouTube qui a posté les vidéos a été créé très récemment uniquement pour la diffusion de cette vidéo puisque l’on n’y trouve rien d’autre. L’ameublement de la pièce, les meubles, le canapé, le fauteuil, sont tout à fait typiques du style russe. On ne trouve pas d’appartements aménagés comme ça en Allemagne ou en France d’ailleurs.
L’investigation est encore en cours, mais il semblerait que l’ONG russe ait réussi à mettre la main sur le fabriquant de ces meubles qui les produit en Russie et les expédie en Tchétchénie. Autre élément, si vous zoomez bien, sur la table, vous pouvez voire une canette de soda d’une marque de cola uniquement commercialisée en Russie, et qu’on ne trouve pas Allemagne.
Enfin, on ne comprend pas bien le sens de cette vidéo. Il est en train de chanter sur son canapé, et au beau milieu, il s’arrête pour dire “ah, comme c’est cool la vie en Allemagne, on est vraiment bien ici”. On a l’impression que l’unique but de cette vidéo est de faire passer cette petite phrase qui expliquerait pourquoi il est aujourd’hui introuvable.
Sans oublier bien sûr que l’homme qui apparaît à l’image n'est absolument pas Zelimkhan Bakaev. Ils ont quelques traits en commun mais il suffit de regarder une photo de Zelimkhan pour voir que ce n’est pas lui. Cette vidéo complètement fausse est par contre diffusée par Grozny TV, la chaîne sous tutelle du gouvernement, pour affirmer qu’il serait vivant.
Où en est la situation pour les victimes en attente de visa ?
Le procédure suit son cours. Nous sommes arrivés à exfiltrer plusieurs Tchétchènes à Moscou. Le problème, c’est que pour qu’ils puissent quitter le territoire russe, il leur faut des passeports, et la plupart n’en ont pas étant donné qu’ils ne sont jamais sortis du pays.
C’est d’autant plus compliqué pour eux d’obtenir des passeports qu’ils sont supposés les faire faire en Tchétchénie. Il faut ensuite leur obtenir des visas. Or, la plupart se sont mariés et ont fondé une famille pour avoir une couverture. Sauf qu’un homme soupçonné d’homosexualité par le régime qui fuit le territoire, vous pouvez être sûr que c’est sa famille qui va être condamnée par la population. En Tchétchénie, les crimes de haine et d’honneur sont encore en vigueur. Il faut laver l’honneur de la famille ou du village, il s’agit ni plus ni moins que d’exécuter la famille restée dans le pays.
Nous communiquons avec les autorités européennes pour leur expliquer qu’il faut trois ou quatre visas par réfugié. Le problème que l’on a avec la France ne concerne pas les autorités mais c’est qu’il y existe déjà la première diaspora tchétchène d’Europe, avec 67000 personnes. C’est une diaspora particulièrement violente qui défend avec une rigueur absolue le crime d’honneur, et donc constitue une menace terrible pour ces réfugiés.
Le 29 mai dernier, jour de l’arrivée du premier réfugié gay tchétchène en France, la police aux frontières de Roissy nous a prévenu que des groupes tchétchènes tournaient autour de l’aéroport. Il y a quelques années, une opposante tchétchène a été assassinée par la diaspora à Vienne, en Autriche, dans la rue en plein milieu d’après-midi. Son meurtrier est rentré immédiatement en Tchétchénie où il a été félicité par le Président en direct à la télévision.
Il y a donc une incitation des autorités qui fait que la diaspora a encore plus envie de venger l’honneur parce qu’ils savent que derrière, non seulement ils ne risqueront rien, mais en plus ils seront remerciés par les autorités. Tout ça fait que l’on en arrive à un point où l’on déconseille aux réfugiés tchétchènes de venir en France, car nous ne sommes malheureusement pas en mesure de leur assurer une pleine sécurité.
Ceux qui sont venus, on s’occupe d’eux bien sûr, mais quand on les réceptionne à Moscou, on leur explique bien la situation, et généralement ils comprennent que c’est dans leur intérêt de ne pas venir en France. Sachant que ce sont en grande partie les ONG qui s’en occupent à leur arrivée, nous n’avons pas les moyens de gérer cette question-là.
lesinrocks.com