Mariage gay : le jour où j'ai compris que ma fille était homosexuelle
LE PLUS. C'est une lettre laissée sur une porte de frigo. Celle d'un père qui dit à son fils qu'il ne doit pas avoir peur d'assumer son homosexualité. Elle a fait le tour du web pour arriver jusque dans les mains de Charles Tourret, père de famille, qui se rappelle comment il a progressivement compris que sa fille aînée était homosexuelle. Témoignage émouvant.
Donc, j’ai lu la lettre de ce père de famille américain à son fils Nate, homosexuel, et j’en ai été bouleversé. D’abord, parce qu’elle a la force de la simplicité et ne peut que réduire au silence les opposants au mariage gay qui défileront dimanche à Paris contre ce droit fondamental à l’égalité : elle est drôle, elle dit que la seule chose qui importe pour ce père, ce n’est pas l’orientation sexuelle de Nate mais que ce dernier soit juste heureux avec son ami Mike.
Ensuite, elle me bouleverse car, à l'heure où ma fille Caroline envisage sérieusement de se marier depuis le vote de la loi sur le mariage pour tous, elle m’a remis en mémoire la manière un peu compliquée dont, personnellement, j’ai découvert son homosexualité.
Contrairement à cet homme, pour moi, l’évidence ne s’est pas imposée tout de suite : j’ai connu les fausses certitudes puis les doutes et les dénégations avant, enfin, de voir mon aînée assumer cette évidence qu’elle refusait, et accepter notre regard sur elle, fait seulement de tendresse et dénué du moindre jugement.
Une lettre carrément scandaleuse
Tendresse, humour. Ces deux mots s’imposent en lisant le courrier de ce père à son fils qui, par la magie d’internet, est en train de faire le tour du monde. C’est une lettre courte comme un baiser à la fois bref et pudique, que j’imagine déposé le matin par un chef de famille à la fois attentif et pressé, sur la tignasse d’un grand gamin déjà adulte, encore ébouriffé d’un sommeil troublé par ses inquiétudes.
C’est un baiser destiné à rassurer un jeune homme qui ne sait pas comment dire à sa famille qu’il est gay, qui ne sait pas non plus si ses parents sont en mesure d’accepter cette situation.
Et cette lettre est carrément scandaleuse au sens étymologique de "petra scandali", "pierre d’achoppement" sur laquelle on bute, on chute avec ses certitudes, et non pas au sens péjoratif habituel d’indigne, de choquant ou de déshonorant.
Honneur au contraire à cet Américain par qui le scandale arrive, puisque sa lettre met à bas ce cliché qui voudrait qu’un père doté de tous les attributs virils liés à son statut de pater familias soit dans l’incapacité de comprendre "la différence" de son fils.
Il me semble qu’il faudrait être bien étranger aux affaires profondément humaines, être doté d’une carapace épaisse composée de conservatisme et de certitudes, ou simplement victime d’une ignorance crasse pour ne pas se dire qu’en fait, après la lecture de ce texte, il s’agit, ni plus ni moins, d’une inconditionnelle déclaration d’amour d’un père pour son fils.
Au début, on pense que c'est une crise d'ado
Chacun vit ses propres expériences et je suppose que le jeune Nate a été soulagé en découvrant que son père avait tout compris depuis que le petit avait 6 ans. Personnellement, je me suis rendu compte un peu plus tard de l’intérêt que ma Caro portait pour les filles. Elle devait avoir 12 ou 13 ans, elle était malheureuse, elle en a aujourd’hui 35 et là voilà très épanouie, en couple avec une jeune femme et deux fois mère de famille.
D’abord, il y a eu chez ma fille cet évitement systématique des garçons ou de tous les sujets qui concernaient ces derniers, que j’ai pris pour un trouble bien compréhensif, quand on est une préado et qu’on n’a été confrontée qu’à ses sœurs.
J’ai mis un peu de temps à me rendre compte que si les deux petites posaient des questions précises sur ces drôles de phénomènes, des braillards, des tireurs de nattes et des bagarreurs dans la cour de récréation, l’aînée s’enfermait alors dans un mutisme exagéré.
Ensuite, il m’a semblé qu’elle avait fait le choix de se verrouiller, dès qu’elle était à la maison, comme en proie à un mal être bien compréhensible à cet âge, alors qu’au contraire, à l’extérieur, on me racontait qu’elle était la chef pleine d’énergie et de gaieté d’une bande de filles dévouées à sa personne.
On se disait avec ma femme qu’elle connaissait une préadolescence difficile, qu’elle adoptait à notre égard une attitude franchement hostile comme la décrivaient alors, dans les années 90, les pédopsychiatres dans les magazines féminins.
Parfois, tout de même, il me semblait surprendre un regard équivoque, qui s’attardait un peu trop chez Caro, quand nous croisions une jolie fille dans la rue. Un doute m’effleurait que je balayais aussitôt quand, tentant d’obtenir une réponse à mon questionnement, je me faisais renvoyer vertement dans les cordes par ma fille furieuse et choquée. Je n’insistais donc pas.
Des garçons comme des leurres
Et puis, vers 14-15 ans, Caro a changé d’attitude : elle s’est montrée soudain plus ouverte, plus joyeuse, nous présentant des garçons charmants de son âge qu’elle semblait mener par le bout du nez. Ils passaient, ombres furtives à la maison, jamais les mêmes, toujours en coup de vent. Elle voulait nous rassurer avec ce qui n’était que des leurres, semble-t-il, et elle y parvenait, jusqu’à ce que cette histoire de téléphone nous fasse prendre conscience de la réalité.
Nous étions en vacances en Normandie, dans une ferme perdue au milieu des champs. Un téléphone unique, en bakélite noire, branché au bout d’un fil interminable, migrait d’une pièce à l’autre dans cette grande maison de plain pied et le grand jeu consistait à mettre la main sur ce cordon ombilical qui nous reliait à la ville, à la famille et aux amis. À l’époque, il n’y avait pas encore de portable démocratique et la consigne des parents aux enfants, l’été, consistait à tenter de se passer le plus possible du téléphone.
Longues ballades en forêt, jardinage, fauchage du foin avec le vieux tracteur, devoirs de vacances occupaient nos journées ensoleillées. Jusqu’à ce que je découvre que Caro passait ses journées allongée sur son lit et que le seul moyen de la faire bouger consistait… à tirer sur le fil du téléphone.
Elle était toujours au bout, en ligne, à chuchoter des secrets avec des petits rires étouffés à un mystérieux correspondant et lorsque nous la prenions en flagrant délit, elle se mettait en colère, hurlant que nous étions des flics et que ça ne nous regardait pas.
Lesbienne et amoureuse
La facture de téléphone est arrivée, astronomique, un mois plus tard avec… 55 coups de téléphone passés vers l’Allemagne ! Tentative d’explication, punition, suspension de l’argent de poche et à l’arrivée, notre Caro qui refuse de desserrer les dents, jusqu’à ce qu’on apprenne que sa meilleure amie, Héloïse, avait passé un mois en vacances outre-Rhin.
Caro est restée butée, refusant de nous parler malgré nos multiples tentatives pour ouvrir un dialogue, alors que désormais, elle faisait de moins en moins d’efforts pour cacher son orientation sexuelle.
Cette histoire d’amour, sa première, la rendait un jour euphorique, le lendemain tellement malheureuse que nous avons pris cette fille secrètement en grippe, elle qui jouait les filles adorables quand elle nous rendait visite et se transformait en harpie quand elle était seule avec Caro, usant de son pouvoir de séduction sur elle pour la réduire à l’état de chose.
Heureusement, cette histoire n’a pas duré et il y a eu Laure, une fille drôle et énergique. Elle avait 17 ans et comme notre Caro, elle passait son baccalauréat dans le même lycée. Leur liaison assumée fut un vrai soulagement pour notre aînée et pour nous-mêmes. Car pour la première fois, j’ai senti que notre fille se détendait enfin, s’acceptait comme elle était et finalement, se découvrait heureuse dans une relation de confiance avec son ami et avec ses parents.
Ce jour-là, pour la première fois, Caro a été en mesure de nous confier ce secret pourtant éventé depuis si longtemps : elle était lesbienne et amoureuse.
Depuis, notre fille a rencontré la jeune femme qui partage sa vie depuis cinq ans et la voilà deux fois maman de charmantes petites filles : une fois en tant que génitrice et une autre fois en tant que deuxième maman. J’ai accueilli la gentille Sarah comme ma quatrième fille et comme la seconde mère de mes petits-enfants.
source:nouvelobs.com