Homophobie en Tchétchénie : « J’accueille deux réfugiés homosexuels chez moi (et j’ai enfin l’impression de faire quelque chose de concret dans ma vie) »
Fabienne, 47 ans, et sa fille Alice, 20 ans, ont accueilli deux réfugiés du Daghestan qui ont fui l’homophobie de leur pays autant qu’une mort annoncée. Une rencontre qui a bouleversé quatre vies, et dont elles parlent pour alerter sur l’horreur d’une « épuration » toujours en cours.
NEON, magazine : Qu’est-ce qui vous a incité à vous engager dans ce combat ?
Fabienne : J’ai vu en avril-mai dernier ce qu’il se passait en Tchétchénie, les camps de concentration contre les gays, quelque chose qu’on n’imaginait plus entendre encore une fois, c’était insupportable. Un soir, j’ai regardé l’émission Quotidien, Vincent Dedienne et Hugo Clément en ont parlé, et j’ai contacté l’association Urgence Homophobie (anciennement Urgence Tchétchénie) dans la foulée. Je n’ai pas d’argent, je n’ai pas de temps, mais j’ai de la place, et ils cherchaient des hébergeurs. Face à quelque chose comme ça, est-ce qu’on reste à regarder, ou est-ce qu’on fait quelque chose avec ses moyens ? Moi, mes moyens, c’était une chambre. J’ai battu le pavé dans ma vie, mais là, j’ai eu l’impression de pouvoir servir vraiment à quelque chose, enfin une action concrète. J’étais en colère.
Le terme « camp de concentration » a beaucoup choqué. C’est ce qui vous a fait réagir ?
J’ai déjà eu des engagements politiques, syndicaux… Mais là, j’ai 47 ans, je me suis battue longtemps, et rien ne bouge. A un moment, il fallait faire quelque chose de concret, au moins une fois dans sa vie. Et ça a été ça, je ne sais pas pourquoi : ça m’a paru insupportable d’avoir cette place chez moi alors que des gens en ont besoin.
Comment se déroule la procédure ?
J’ai envoyé un mail en mai, on m’a appelée un soir de septembre, parce qu’ils étaient vraiment en galère : ils avaient accueilli deux trentenaires, deux amis d’enfance. J’ai dit oui tout de suite, même si j’en ai discuté d’abord avec ma fille. Ils étaient déjà sur le territoire français, ils avaient été logés chez des amis, un peu à l’hôtel, et ils sont arrivés début septembre. Avant, l’association était passée nous rencontrer, pour créer de la confiance et voir où nous habitions.
Quel est leur statut ?
Ils sont demandeurs d’asile. L’association fait tout ce qu’il faut pour que les démarches soient simplifiées, et ils ont été plutôt bien reçus en préfecture.
Une nouvelle vie à 4 a alors commencé… Ça a beaucoup changé la votre ?
Ils commencent à apprendre le français, et on essaye de leur parler français pour qu’ils puissent avancer plus vite, mais c’est vrai que quand on veut une conversation plus intime, Google Traduction est pratique. Ça restera des personnes importantes dans nos vies, quoi qu’il se passe après. Nous avons pris le temps d’aller vers eux, ils ont pris le temps de venir vers nous.
Comment s’est passé leur départ ?
Ils viennent du Daghestan [République fédérale russe limitrophe de la Tchétchénie]. La situation est pratiquement la même, en tout cas la menace est identique, même s’il n’y a pas forcément de camp. Le magasin de l’un d’eux a été brûlé entièrement, il a reçu des menaces, et s’est fait éjecter de sa famille quand elle l’a appris, mis à la porte. Il a pris un visa de tourisme et il est parti. Le second, son ami d’enfance, l’a rejoint peu après. Il a décidé de partir quand son ex petit-ami a été tabassé à mort.
Vous saviez combien de temps cela allait durer ?
Pas du tout. L’un des deux vient de partir, car son amoureux l’a rejoint. Ils ont dormi ensemble quelques nuits à la maison, c’était vraiment la fête. Et ils ont trouvé un autre hébergement pour eux deux. Le second va sans doute rester encore plusieurs mois.
Et après ?
Ils ont plein de projets. En tant que demandeurs d’asile, ils ne peuvent pas travailler, mais ils avaient un boulot en Russie, et ils ont envie de faire plein de choses. De reprendre espoir. Ils ont heureusement un réseau d’amis russes, ils peuvent un peu sortir. Ça doit être extrêmement compliqué d’arriver dans un pays où on ne connaît personne, sachant qu’on ne rentrera jamais chez soi, qu’on ne reverra plus sa famille. Ils prennent ça de façon très pudique et optimiste.
Comment peut-on agir ?
Il y a des concerts de soutien qui sont organisés [le prochain en décembre]. Si on n’a pas de place, on peut aussi donner un peu d’argent, car ils n’ont droit à rien, et il faut les aider un minimum financièrement. Et en parler, beaucoup.
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