Scoop : "Je t'embrasse, Frigide"
Compulsive, elle lâche ses tweets nauséabonds comme d'autres soulagent bruyamment leur problème gastrique... En début de semaine, Christine Boutin nous mît rageusement en garde: elle lancera dorénavant une procédure à l'endroit de quiconque osera diffamer son mariage!
Aussi, ce mercredi 29 mai 2013, suis-je quelque peu tendu lorsque je prends place dans le fauteuil face à l'enquêtrice qui me convoque au commissariat du 13ème arrondissement... Tendu parce que depuis quelques semaines, après avoir obtenu les coordonnées — je vous expliquerai par la suite comment et par qui — de notre chère et tendre intégriste, il m'est arrivé à cinq ou six reprises — je le confesse — de lui rappeler par voie téléphonique combien il était malvenu de s'occuper de l'union des homosexuels quand bien même par son union, elle souffrait d'appartenir à une minorité...
Oui, je l'avoue: j'ai cédé à la puérile tentation de partager mon enthousiasme avec la cousine Boutin, notamment le soir de l'annonce du vote du conseil constitutionnel, où je lui adressais mon premier appel: « allo Christine? Le conseil constitutionnel vient de valider la loi pour le mariage pour tous : Dans-ton-c..., ma chérie! »...
Aussi, cette audition s'annonce-t-elle inquiétante pour moi : je vais payer cher avoir osé appeler une ancienne ministre qui ne respecte pas la République et qui en dépit du récent vote de la loi, s'évertue à nier l'égalité des droits au mariage. Une ancienne ministre dont le curieux champs lexical — qu'elle prétend catholique — s'étend de la « bombe atomique » à la « guerre civile ». Une ancienne ministre qui invoque « des lois supérieures à celles de la République » lorsqu'il s'agit de jeter l'anathème sur l'union entre personnes de même sexe, mais qui se soustrait de la dispense papale obligatoire chez les catholiques quant à son union avec son cousin germain. Une ancienne ministre homophobe dont l'obsession anti-homos relève de la pathologie. De l'hystérie. De la haine....
« Nom, prénom, adresse, profession. »
Après la déclinaison de mon identité complète, la fonctionnaire de police m'annonce que nous allons entrer dans le vif du sujet...
« Connaissez-vous Madame Frigide Barjot ? »
Si l'évocation de Virginie Tellenne me surprend, je n'en laisse rien paraitre. J'expédie donc mémère dans le placard et ressors illico le dossier Barjot où là aussi, j'ai quelques interventions dont je vais devoir répondre.
« Effectivement, comme tout le monde, je connais Frigide Barjot, mais je n'ai pas le déshonneur de la connaître intimement. C'est une femme dangereuse, dont les idées nauséabondes pourrissent la société française depuis plus de huit mois ».
Aux questions suivantes et ce, pendant toute la durée du l'audition, je répondrai avec le plus d'exactitude possible. Le plus honnêtement possible. Non, je n'ai absolument aucun regret concernant mes agissements. Oui, je reconnais les faits. Oui, j'ai appelé Frigide Barjot chaque fois qu'elle disait une connerie dans les médias et que cela m'a agressé. Oui, je lui ai exprimé mon mécontentement, tantôt de façon très virulente, tantôt de façon narquoise. Et effectivement, quand bien même je ne suis pas particulièrement fier d'avoir usé d'un procédé que je ne cautionne en aucun cas habituellement, cette possibilité de lui cracher dessus m'a considérablement aidé à supporter toutes les saloperies qu'elle et les siens ont proférées à l'encontre des homosexuel(le)s durant ces longs mois... Oui, comme des milliers de personnes — l'enquêtrice me confirme d'ailleurs le nombre hallucinant d'auditions prévues pour ces mêmes faits — je me suis défoulé sur le numéro de téléphone que Virginie Merle Tellenne avait laissé à disposition sur internet...
A ce stade de l'audition, madame Barjot mène l'avantage : Elle est une pauvre victime et nous, les affreux harceleurs... Mais un joker que j'ai dans ma poche — et plus exactement, sur l'écran tactile de mon iPhone — me dit que cela ne va pas durer longtemps, comme je vais d'ailleurs le vérifier dès la question suivante.
« Avez-vous entretenu une conversation avec Madame Barjot ? Avez-vous eu des échanges ?
— Oui, j'ai bien eu quelques échanges avec Madame Barjot, mais tous ne sont pas de la même nature. »
J'explique:
« Un jour, alors que je l'appelai pour lui signifier qu'elle dépassait les bornes avec ses 'appels au sang', la conversation entre Frigide Barjot et moi s'engagea sur un mode plus personnel. Elle me parla non seulement de son projet d'union civile — que je feignis d'écouter bien que je suis un partisan du 'mariage pour tous' — mais surtout de son sentiment d'être isolée politiquement au sein de son mouvement :
— Les catholiques me critiquent, Copé me crache dessus, Marine Le Pen me crache dessus, me dit-elle. Pourquoi suis-je la seule à qui les gays en veulent ? Je fais mon possible pour apaiser la démocratie, j'ai même dit à Christine Boutin qu'elle n'était pas la bienvenue lors de la dernière manifestation. Alors, les insultes, les agressions verbales, ce n'est pas à moi qu'il faut les adresser. Je ne suis pas la seule responsable. »
J'abondais dans son sens en lui citant notamment un tweet vénéneux que la Présidente du Parti Chrétien Démocrate avait rédigé à son intention, mais lui précisai qu'ayant laissé ses coordonnées sur internet, elle ne pouvait s'étonner d'être la cible d'une population qu'elle s'était employée à combattre et à humilier depuis plusieurs mois.
L'égérie de la Manif pour tous me fit alors une étonnante proposition :
« Écoute, je te donne les coordonnées de Christine Boutin mais ça reste entre nous, ok ? Alors puisque tu m'appelles en numéro caché, envois-moi un SMS et, en retour, je t'enverrai ma fiche des coordonnés de Christine Boutin ».
La proposition me laissa perplexe, mais ma curiosité était titillée : était-elle sérieuse, ou n'était-ce qu'un stratagème pour obtenir rapidement mes coordonnées...? Dans le doute, je décidai de tentais le coup et prudent, rédigerai un SMS on ne peut plus poli a son intention :
« Chère Frigide, désolé d'avoir été désagréable au départ tant finalement cette discussion fut sympathique et instructive. Peut-être devrais-tu effectivement mettre encore plus en avant dans les médias le discours que tu as eu au téléphone... Bref, apaisons les choses. Et j'attends, comme tu me l'as dit, les informations concernant CBoutin. Bien à toi. »
La réponse ne se fit pas attendre :
« Et voilà merci de ton message. C'est effectivement ce que je fais d'insister sur l'union civile pour apaiser la démocratie. Je t'embrasse. Fri »
Surtout, joint à cette réponse se trouvait la fiche concernant Christine Boutin : les 3 numéros de téléphone personnels de la Présidente du Parti Chrétien Démocrate (2 numéros de portable personnels, ainsi que le numéro de la ligne fixe de son domicile).
Ici s'arrête le récit de cette audition. Dans l'éventualité des poursuites à venir, je ne souhaite pour l'instant m'étendre d'avantage sur les détails qui suivirent et de la suite de mes déclarations auprès des enquêteurs... Mais ma chère Frigide, sache que dans ta volonté de poursuivre les nombreux auteurs des appels que tu as recus, tu as manqué de discernement et scier sciemment la branche sur laquelle tu étais assise. Grâce à cette audition et à toi, je reviens donc sur mon assurance de garder notre « conversation » confidentiel. En conçois-je un malaise, un « cas de conscience » ? Pas vraiment... Comme tu as su le démontrer (et comme ma petite anecdote l'illustre parfaitement), tous les coups sont permis, n'est-ce pas ? Par vanité, tu as engendré un monstre qui a fini par te dévorer. Un monstre auquel je souhaite une digestion lente et douloureuse. Tu n'existes déjà quasiment plus, chère Frigide : ton nom rejoint les égouts de l'histoire.
Mais ma plus grande satisfaction sera quand même d'imaginer la surprise de Christine Boutin si d'aventure, elle prenait connaissance de cette anecdote. Dans sa paranoïa, celle que Lionel Jospin qualifiait déjà « d'outrancière » en 1999 est devenue une véritable caricature en 2013, moquée de tous. Et j'ose espérer qu'à travers cette petite révélation, la cousine saura encore nous régaler dans les prochaines semaines, de nouveaux et savoureux tweets.
Jean-Philippe Card
source:minorites.org/