Depuis quelques mois, la police égyptienne a intensifié la traque des homosexuels, notamment via les réseaux sociaux et les applications pour smartphones. Deux homosexuels égyptiens, qui vivent cachés et dans la peur d’être arrêtés, témoignent.
Il y a encore une semaine, sept hommes ont été arrêtés pour être apparus dans une vidéo d'un "mariage gay ". Des images qui avaient été largement relayées sur les réseaux sociaux et avaient fait les choux gras d’une partie de la presse locale, qui s’insurgeait contre cette cérémonie. On y voit un couple gay célébrer une union symbolique sur un bateau sur le Nil. Les deux hommes échangent des alliances sous les "youyous", en présence d’un petit groupe d’invités.
En début de semaine, le parquet a ordonné qu’un 'test médical', censé détecter l’homosexualité, soit pratiqué sur les deux protagonistes de la vidéo. Toutefois, les autorités ont indiqué par la suite que ce test a révélé que les prévenus n’avaient pas eu de relations homosexuelles.
La loi égyptienne n’interdit pas l’homosexualité. Plusieurs personnes ont toutefois été arrêtées lors des fêtes réunissant des homosexuels ces derniers mois et accusées de "débauche". En mai, par exemple, quatre hommes ont été arrêtés lors d’une fête organisée dans un appartement à Nasr City, à l’est du Caire. L’un d’entre eux a été condamné à 12 ans d’emprisonnement, la sentence la plus lourde jamais prononcée contre un homosexuel en Égypte.
Photo publiée sur la page Facebook d'une campagne appelant à l’arrêt de la persécution des LGTB Égypte. Sur la pancarte, on peut lire : "Liberté pour les homosexuels arabes. L'amour n'est pas un crime".
Selon de nombreux témoignages, la police a en outre de plus en plus recours aux applications de rencontres gay, comme Grindr, pour traquer les homosexuels. Et les militants de la cause LGTB en Égypte ont publié plusieurs messages mettant en garde contre l’usage de ce type d’applications.
Selon des militants LGTB, au moins 77 homosexuels ont été arrêtés depuis octobre 2013.
CONTRIBUTEURS
Karim Ahmad
Samia A.
"Je me suis fait chasser d’un café au Caire parce que j’étais avec un ami efféminé"
Karim Ahmad (pseudonyme) est un étudiant en médecine âgé de 20 ans. Il vit dans le gouvernorat de Gizeh, près du Caire.
Personnellement, j’ai de la chance car mes parents et mon grand frère sont au courant et ils acceptent le fait que je sois gay. Au début, quand je l’ai dit à mon père, il était très en colère et m’avait chassé de la maison. Mais il m’a laissé revenir peu de temps après car il a fini par comprendre que ce n’était pas de ma faute. Mais en dehors d’un cercle familial restreint et de quelques amis gays personne n’est au courant. Je fais très attention à ne pas me dévoiler car je risque gros.
En Égypte, il y a un fascisme religieux. Les gens pensent que les homosexuels sont dépravés et sans aucune morale, qu'ils ne pensent qu’à s’accoupler tout le temps. Par chance, je n’ai pas une apparence efféminée et je passe donc inaperçu. Mais quand je me trouve avec un ami efféminé, les gens nous insultent systématiquement. Il y a quelques jours encore, nous étions attablés à un café. Quand nous avons appelé le serveur, il est venu à notre table et nous a demandé de quitter les lieux. Nous étions furieux. Nous avons demandé à voir le manager et ce dernier nous lance : "Partez d’ici ! Je ne veux pas de problème dans mon café ". Cela m’a profondément blessé.
Avec l’ambiance qui règne depuis quelques mois, je n’ose plus utiliser les applications pour rencontrer des gens. La police utilise en effet des indic’ qui se font passer pour des gays et donnent rendez-vous à des homos dans des cafés pour leur poser un traquenard. Il y a environ une semaine, un ami a été arrêté avec ce procédé au Caire. Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas de nouvelles de lui et quand j’appelle ses parents, ils me disent qu’il est en visite chez des parents dans une autre ville. Cela me fait peur car il est fragile et la police pourrait le forcer à dénoncer ses amis homosexuels, dont je fais partie. Je crains aussi qu’il soit torturé ou violé.
"Le police ne vise plus seulement les lieux de rencontres gays connus, mais mène désormais des raids dans les maisons quand elle soupçonne qu’elles abritent des fêtes gays"
Samia A. milite pour les doits des LGTB en Égypte. Elle participe à une campagne sur Facebook appelant à l’arrêt de la persécution des LGTB.
Depuis le mois d’octobre 2013, les homosexuels en Égypte font l’objet d’une véritable chasse à l’homme. C’est que la police ne vise plus seulement les lieux de rencontre connus, mais fait de plus en plus de raids dans les maisons soupçonnées d'abriter des fêtes gays.
Je pense que ce durcissement de la répression est lié à la situation politique en Égypte. Depuis son arrivée au pouvoir, le président Sissi veut montrer aux Égyptiens qu’il est aussi conservateur que les Frères musulmans, évincés du pouvoir. Il se pose ainsi en garant de la morale.
Je milite au sein d’un groupe "undergroud" qui s’efforce de venir en aide aux LGTB en difficulté. Quand un LGBT est arrêté, nous essayons d’entrer discrètement en contact avec ses proches pour les soutenir et sollicitions des avocats spécialisés dans les droits de l’Homme pour les défendre. Les droits de cette communauté sont souvent bafoués et ils sont condamnés à des peines lourdes après des procès expéditifs [Les quatre personnes arrêtées à Nasr City en mai ont été condamnées seulement quatre jours après leur arrestation, ndlr].
Sur les réseaux sociaux, nous donnons des conseils concernant les lieux qui sont surveillés par les polices et qu’il faut éviter. Nous les invitons aussi à faire très attention, à ne communiquer aucune information personnelle sur Internet, et surtout éviter les applications avec géolocalisation comme Grindr, Hornit, Scruff, Gay dating, etc.
De temps à autre, nous organisons des rencontres avec des LGBT de confiance dans des lieux secrets au Caire pour leur fournir des informations pratiques et conseils qu’ils transmettent à leur tour aux homosexuels de leur entourage. Nous essayons aussi de leur apporter une aide psychologique pour qu’ils prennent conscience qu’ils ne sont pas coupables et que leur homosexualité n’est ni une maladie ni une déviance.
Les personnes les plus fragiles dans la communauté LGTB sont les transsexuels car ils doivent acheter des injections d’hormones au marché noir, et donc en dehors de tout contrôle médical. Des plus, ces injections coûtent très cher, 150 Lires [environ 16 euros], et elles doivent en prendre plusieurs fois par semaine. Elles deviennent souvent des travailleuses du sexe pour financer ces soins.
Pour les besoins de la campagne sur Facebook, nous avons demandé aux personnes, qui se sentent proches de notre cause de nous envoyer des photos où ils tiennent une pancarte avec un message de soutien aux LGTB. Nous souhaitons que le plus grand nombre nous rejoigne, non seulement des pays arabes mais de partout dans le monde pour de faire pression - j’espère avec le soutien des ONG internationales - sur les autorités égyptiennes afin qu’elles cessent d’opprimer les LGTB. Tout ce que nous demandons en fait, c’est de vivre dans la dignité.
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