En Tunisie les homosexuels se cachent pour coucher
« Local ? » C’est l’une des questions les plus posées entre Tunisiens sur l’application de rencontre pour homosexuels Grindr. Et aussi un grand obstacle, si la réponse est « non ». Il existe néanmoins des lieux dédiés à ces jeunes, ou qui ont été secrètement privatisés pour eux. Quand la société rejette et condamne les amoureux, et surtout les homos, tout autant – si ce n’est plus – que la loi, tous les moyens sont bons à mettre en œuvre pour se retrouver en toute sécurité. Si certains espaces sont aujourd’hui réputés pour être “gay friendly” ou des “safe spaces”, certains homosexuels qui recherchent plus d’intimité ou de discrétion ont recours à d’autres lieux.
UNE CHAMBRE À LOUER POUR LES HOMOS
« Un plan cul sur Grindr m’a emmené dans le *******, en banlieue sud ; il m’a dit qu’il connaissait un endroit où on pourrait être tranquille. » Mehdi, à peine majeur, enchaîne les aventures qu’il rencontre à travers Grindr. Collée à une minuscule supérette, une maison fait l’angle d’une rue animée. « En général, on galère toujours à trouver un “local” pour un coup. Beaucoup vivent encore chez leurs parents ou n’ont tout simplement pas envie de ramener un inconnu chez eux. C’est un mec de Gabès qui connaissait ce filon, et notamment le propriétaire de la maison, un vieil homo qui a décidé de louer cet espace aux jeunes qui cherchent mais ne trouvent pas où coucher. »
En plein centre de cette ville de la banlieue sud, des couples d’hommes discrets réservent une heure ou une soirée pour passer du bon temps. « C’est un S+1 extrêmement étroit et poussiéreux. Dans la chambre, il y a deux lits à ras-du-sol d’une place chacun, dont les matelas sont atroces. Je ne pense pas qu’ils aient toujours le temps de changer les draps entre les différents visiteurs et puis ça sent l’humidité. Les meubles sont en vieux bois, il y a de grands tapis épais qui recouvrent presque toute la surface du sol. Mais le pire, je pense, c’est la finesse des murs ; comme la maison donne sur une rue hyper bruyante, tu entends tout ce qui se passe à l’extérieur et au final, tu ne te sens jamais réellement à l’aise. »
Les homosexuels tunisiens ont souvent du mal à trouver un endroit pour eux, sécurisé de plus. Il est d’autant plus difficile pour les jeunes des régions plus reculées ou conservatrices comme Gabès de trouver quelqu’un dans leur voisinage, les plus proches se trouvant souvent à Tunis ou à Sousse. Le moyen le plus simple consiste souvent à réserver une chambre, une maison ou un appartement, un compromis rassurant pour ceux qui n’ont pas toujours – si ce n’est jamais – confiance en leurs partenaires, généralement rencontrés sur le net.
Les petites annonces de maisons d’hôtes et autres établissements sur le Grand Tunis, disponibles à la location à l’heure ou à la journée, sont nombreuses et publiées sur la plupart des sites de petites annonces. Pour les homos, les bons plans se font connaître à travers le bouche-à-oreille ; la maison citée dans cet article n’est pas la seule à offrir ce service, d’autres existent en banlieue sud et les prix varient souvent entre 30 et 200 DT la nuit.
LE BAIN MAURE POUR UN COUP RAPIDE
« Tu payes 3 DT à l’entrée, et si tu veux un massage, il faut rajouter 2 DT », raconte Anis, 36 ans, électricien. Au cœur de la médina, dans une étroite ruelle, des hommes – souvent issus de la classe populaire – se retrouvent pour tirer leur coup. Ce hammam est le seul à avoir été “privatisé” pour les hommes homosexuels, sans pour autant que cela soit officiel.
« On te refile une clé, celle d’un casier où tu mets tes fringues après t’être déshabillé, et on te demande de donner tes objets de valeur pour qu’ils soient rangés ailleurs, plus en sécurité. » La discrétion est un must, les hommes ne se pavanent pas nus et ne se draguent pas ouvertement. » Pour savoir si l’on se plait l’un l’autre, on se propose des massages ou de se frotter le dos, si la réponse est positive, c’est bon. » Il existe néanmoins une certaine pudeur quant à exprimer ouvertement son intérêt pour les hommes. Les visiteurs ou habitués du bain maure sont silencieux et s’accostent discrètement et indirectement.
« On te donne autant de serviettes que tu veux et en général, on en prend plein parce qu’on les utilise pour cacher les petites fenêtres des cabines, histoire de faire notre truc à l’abri des regards. » Tout se passe très discrètement. Et silencieusement. « Tu te mets d’accord avec un mec et puis vous allez dans une cabine. » Ces petites cabines de 5 m² avaient été installées afin de permettre aux hommes de nettoyer leurs parties intimes ; avec le temps, elles ont plus ou moins gardé leur utilité avec une légère différence, puisque certains en profitent pour passer un bon moment.
« C’est pas vraiment propre, c’est assez sale en fait, un peu moins le dimanche matin et là, ça se bouscule. Sinon les gens viennent généralement en semaine, après le boulot à l’ouverture du hammam, vers 19h. On y retrouve pas mal d’hommes mariés, aussi. »
Si Anis a trouvé le courage de s’y aventurer et s’y rend régulièrement, d’autres ont peur de ce qui pourrait leur arriver si jamais ils décident de franchir le pas. « Je n’y suis jamais allé, j’en ai beaucoup entendu parler mais ce que j’ai entendu n’était pas forcément rassurant », confie Mehdi, 21 ans, étudiant. « Il n’y a pas de sécurité », poursuit-il, « ça peut dégénérer si quelqu’un fait un pas de travers. Je pense qu’il y a des codes à respecter, et c’est une pression que je ne pourrai pas supporter. » L’homophobie étant très répandue en Tunisie, même au sein de la communauté LGBT, certains hommes refoulent leur sexualité et tombent souvent dans la violence envers des partenaires ou autre homosexuels qui s’affichent.
DERRIÈRE LES PORTES D’UN APPARTEMENT LUXUEUX
Dernier arrêt.
Certains homos sont invités à se retrouver chez un fashion designer tunisien, qui organise de temps à autre des plans à plusieurs. Le jeune homme est en total accord avec sa sexualité, et n’a pas froid aux yeux quand il est question d’approcher des garçons pour leur proposer de venir chez lui. Aymen, 22 ans, a déjà fait l’expérience d’une soirée chez lui. « Je me souviens qu’un mec m’avait proposé d’aller chez lui parce qu’il avait un superbe appartement et qu’on pouvait être tranquille. Je ne m’attendais pas forcément à ce que ça tourne au plan à plusieurs… » Aymen était alors en couple avec Hosni qu’il avait rencontré depuis peu, et qui avait déjà passé quelques soirées chez le designer. « On ne sait jamais réellement comment ça va se dérouler. Il y a de l’alcool, du poppers, de la bouffe, beaucoup de bouffe, et une chose en entraînant une autre, on se retrouve à flirter. »
Aymen et Hosni s’y sont rendus une seule fois ensemble. Une fois arrivés, le designer, alors déjà en compagnie d’un autre jeune homme, les a accueillis chaleureusement. « L’ambiance était assez particulière, même si **** est un très bon hôte, je ne me sentais pas vraiment à l’aise, encore moins excité. Après, l’alcool aidant, la soirée m’était déjà plus agréable. On a commencé à rigoler, **** était devenu très tactile et tout s’est enchaîné assez rapidement. »
Se sentant en sécurité, les garçons n’en gardent pas un mauvais souvenir. « C’est assez difficile de se retrouver sans avoir peur des voisins, des gens voire de la police. Quand on trouve un espace où l’on est bien accueilli et où on peut passer un bon moment, on lâche pas le truc », confirme Hosni.
La loi tunisienne inflige une peine de 3 ans de prison ferme à toute personne reconnue coupable de “sodomie” (article 230 du code pénal). Alors que plusieurs voix s’élèvent pour en réclamer la suppression, d’autres souhaitent endurcir cette loi, voire instaurer la peine capitale. Les camps improvisés pour réfugiés sexuels risquent de se multiplier.
fawdha.com
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