AYERDHAL N’EST PLUS…OU PAS
C’était le hasard d’une rencontre, je donnais un coup de main aux copains pour la première mouture des Halliennales, ma caisse de l’époque avait un bon volume de coffre, je servais de chauffeur aux auteurs de la gare jusqu’au lieu de dédicaces.
C’est là que j’ai fait la connaissance de Ayerdhal, le gars avait tout de suite apprécié mon GPS de l’époque1, il m’avait dit qu’il aimait bien les cinglés, j’avais pris cela pour un compliment…
Je ne fais pas parti des amis de Ayerdhal, je ne le connais pas plus que ça. C’est juste, un auteur que j’ai lu, que j’ai croisé au hasard de salons, le peu que j’ai discuté avec lui, m’a convaincu d’un homme bon et juste, avec un grand sens de l’humour.
Ayerdhal est avant tout un auteur de science-fiction, ses premiers écrits sont dans la collection Anticipation de Fleuve Noir. Il est considéré par Macha Séry comme l’un des artisans les plus flamboyants du renouveau de la science-fiction française, avec Pierre Bordage, Serge Lehman et Jean-Marc Ligny. Excusez du peu.
Un auteur engagé aussi, Yaerdhal est à l’origine du collectif de défense des droits des auteurs : Le droit du Serf2. Collectif qui s’est fait connaître du grand public par sa défense du prêt gratuit, son engagement contre la loi HADOPI
, son travail sur les contrats d’édition, surtout pour ceux ayant trait au numérique. En 2012, il s’oppose à la législation sur les œuvres indisponibles du vingtième siècle, ainsi qu’au dispositif ReLIRE3.
Ayerdhal part en laissant une œuvre inachevée, son dernier ouvrage restera sans fin, Kwak ne sera pas terminé…
L’homme s’est éteint, la maladie a eu raison de lui, une fois de plus elle a gagné la partie. Mais l’auteur, lui, est toujours là, lisez-le, relisez-le, découvrez-le
à faire vivre son œuvre, c’est rendre Ayerdhal immortel, la moindre des choses pour un des maitres de la SF française…
Pour le découvrir, un humble conseil : Rainbow Warriors
Mis à la retraite sur requête du Bureau ovale, le général de division Geoff Tyler se voit proposer par l’ancien secrétaire général des Nations unies de prendre la tête d’une armée privée financée par des célébrités de toutes obédiences.
Objectif : renverser le dictateur d’un État africain et permettre la tenue d’élections en bonne et due forme. Ses moyens : l’argent n’est pas un problème. Son effectif : un encadrement d’une centaine de professionnels et 10 000 soldats dont il faut parfaire la formation. Jusqu’ici tout va bien. Il y a toutefois un détail. Cette armée est presque exclusivement constituée de LGBT. Lesbian, Gay, Bi, Trans.
Un roman bourré d’humour, une idée de départ complètement barrée, mais derrière cette idée barrée Ayerdhal œuvre pour faire réagir, dénoncer, mettre le doigt là où ça fait mal. L’économie mondiale, l’égalité, la politique internationale, le droit d’ingérence, le respect de l’autre…
Extrait :
Il y a des choses qui ne se font pas. Courir dans un cimetière, par exemple. Surtout un cimetière militaire. Cracher sur les tombes, non plus. Encore moins sans prendre le temps de s’arrêter. Geoff, lui, fait ça tous les matins depuis bientôt deux ans.
Il court en tennis et jogging, serviette autour du cou, la foulée sûre et tranquille, et il crache sur une trentaine de tombes en marmonnant des mots que lui seul comprend. Ce sont pourtant des phrases simples.
Salut, vieux salopard.
T’as l’air fin sous ta pelouse, maintenant.
Tiens ? T’es encore là, toi ?
Redis-moi qui c’est qui pète la forme, gros malin.
Alors, fils de pute, toujours calanché ?
Oui, ce sont des phrases simples, car Geoff Tyler est quelqu’un de simple. Il a promis qu’il irait cracher sur les tombes de tous les fumiers qui commettraient l’imprudence de crever avant lui et il tient parole. C’est ainsi qu’on est un homme d’honneur. Et qu’importe si cela défrise les rares oreilles qui ont la déveine d’intercepter un mot ou deux.
Quand cela arrive, Geoff rit. Un petit rire sous cape, jubilatoire. Un rire de revanche sur le destin, de connivence avec le passé. Un rire pour lequel un lieutenant, un balaise tout frais émoulu de l’école, l’a un jour poursuivi et agrippé par le bras.
– Non mais dis donc, mon salaud, tu…
Il n’a pas achevé sa phrase. Geoff lui a retourné le pouce et l’a projeté au sol dans le même mouvement. Quand le type s’est relevé, prêt à en découdre, Geoff lui a planté deux yeux de glace dans le regard et a laissé tomber :
– Mon général.
– Quoi ?
– À un général, on dit mon général, lieutenant, pas mon salaud.
Et il est reparti sans que le jeunot sache faire mieux que demi-tour.
À la retraite. Depuis bientôt deux ans. Dégoûté de tout, mais toujours en pleine forme et toujours aussi vif, le général de division Geoff Tyler crache chaque matin sur les tombes des soldats qui étaient sous ses ordres dans le pire moment de son existence et qui ont eu l’audace d’y laisser leur peau.
Vous m’entendez, fils de putes ! Tant que je suis vivant, je vous interdis de clamser ! Et je jure que j’irai cracher sur la tombe de tous ceux qui lâcheront la rampe !
Dans les heures qui ont suivi, sur trente-quatre, vingt-six sont tombés. Les huit autres sont morts dans d’autres échauffourées, sous d’autres commandements, mais il crache aussi sur leurs tombes, par respect.
1 J’étais guidé à l’époque par une actrice de film X très expressive…
2 www.ledroitduserf.wordpress.com
/www.funeraire-info.fr/
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