Parti de Toulouse le jeudi 17 août, Frédéric Pecharman rallie Paris à pied dans l'espoir d'obtenir une rencontre avec la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Son objectif ? L'égalité entre les homosexuels et les hétérosexuels souhaitant donner leur sang. Il témoigne.
Si les homosexuels ont la possibilité, depuis juillet 2016, de donner leur sang – après plus de 30 ans d’exclusion –, ce don reste soumis à des conditions très strictes, dont l'abstinence durant douze mois. Ainsi, à l'issue d’un entretien et après avoir rempli un formulaire, seuls les hommes n'ayant eu aucun rapport homosexuel durant un an sont autorisés à donner leur sang. Les donneurs hétérosexuels, eux, ne sont pas soumis à cette abstinence.
C'est pour dénoncer ce qu'il nomme "une mascarade" que le président du collectif Homodonneur s'est lancé dans une épopée pédestre reliant Toulouse à la capitale. Parti jeudi 17 août, Frédéric Pecharman espère bien être reçu le 1er septembre, à l'issue de sa "Marche des donneurs", par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Malgré des ampoules et une tendinite, fatigué mais porté par une détermination qui ne faiblit pas, l'homme de 43 ans nous explique en quoi ces quelque 688 kilomètres parcourus le long des routes sont importants :
"Cette année, je joue les éclaireurs. Je suis seul à marcher. Mais l'an prochain, nous espérons bien pérenniser cette initiative. Nous voulons nous inscrire dans la tradition de la marche pour les droits civiques ou la marche des fiertés. Avec le collectif, j'ai décidé de lancer ce mouvement pour militer contre cette 'ceinture de chasteté', totalement absurde, qui nous est imposée lorsque nous, homosexuels, voulons donner notre sang. Pour obtenir vraiment le don du sang pour tous, il faut que l'abstinence sexuelle soit levée.
Marcher pour porter le message
Avec le collectif Homodonneur, nous avons établi un parcours de ville en ville, qui compte une quinzaine d'étapes. Je marche en moyenne 45 kilomètres par jour, mais j'adapte mon rythme au fur et à mesure. Depuis mon départ, j'ai développé une tendinite au tendon d’Achille, j'ai donc dû ralentir un peu le rythme. Je n'ai pas de répit. Je suis très fatigué, c'est un effort soutenu, intense. J'ai pris ma tente sur le dos, je dors la plupart du temps en camping sauvage ou privé.
Jeudi 24 août, j'ai effectué plus de la moitié du parcours, fixé à la commune de La Chapelle-Taillefert, dans la Creuse. J'ai parfois eu envie d’arrêter. Moralement, le tout premier jour a été difficile. Je n'étais pas sûr d'y arriver. Le soir, j'étais tellement à la bourre que j'ai dormi à la belle étoile, le ventre vide et sans m’être douché. Mais l'important, c'est de marcher, de porter le message.
L'abstinence une condition maintenant l'exclusion
Nous ne contestons pas le fait de sélectionner les donneurs, c'est normal. Mais nous sommes en désaccord avec les critères de sélection, qu'il faut réévaluer. En 1983, lorsqu'a été prononcée l'interdiction aux homosexuels de donner leur sang, c'était du bon sens. Il y avait un vrai risque sanitaire, notamment avec les groupes qu'on appelait à l'époque les "4H" (pour homosexuels, héroïnomanes, Haïtiens et hémophiles), et qui étaient plus contaminés par le virus du sida que le reste de la population.
Aujourd'hui, ça n'a plus de sens. Quand un Français donne son sang en moyenne deux fois par an, imposer l'abstinence sexuelle revient à maintenir l'exclusion des homosexuels ou des bisexuels. Car il est impossible de donner deux fois par an si on exige de vous une absence de rapports sexuels durant douze mois. Pourquoi devrions-nous choisir entre faire un don ou faire l'amour ? Cette pseudo ouverture est une vraie mascarade !
Cette mesure peut même s'avérer contre-productive : certains homosexuels voulant absolument donner leur sang ne vont pas faire mention de leurs récentes prises de risque. A mon sens, elle augmente les risques. Bien sûr, il faut être responsable et s'abstenir de donner quand on a des vies sexuelles trop agitées. Mais le don du sang est fondé sur une relation de confiance, et les institutions actuelles ont un préjugé négatif sur la personne homosexuelle.
En 2009, je me suis vu refuser un don de moelle osseuse
Nous souhaitons que la ministre de la Santé fasse lever cette condition, et que des moyens soient développés pour mettre en place le plasma sécurisé, qui consiste à congeler en quarantaine le plasma du donneur pendant deux mois. On convoque ensuite le donneur, pour le tester une nouvelle fois : son plasma est utilisé, s'il n’y a aucun souci. Ainsi, il n'y a pas de risque de transmission du VIH ou d'infections sexuellement transmissibles.
En Italie, le don du sang pour les homosexuels et bisexuels existe, sans restriction, depuis 2001. En 2009, je me suis vu refuser un don de moelle osseuse, alors que je donnais mon sang depuis des années, avant de 'devenir' homosexuel. On m'a radié des fichiers, dès que j'ai indiqué ma nouvelle orientation sexuelle. Ça m'a mis dans une colère ! Ce n'est pas du luxe, un don de moelle osseuse… Quelqu'un attendait.
Je suis porté par cette cause, qui me prend aux tripes. Si mon talon ne me lâche pas, j'irai jusqu'au bout ! Que nous soyons ou non reçus au ministère de la Santé, nous continuerons le combat."
Propos recueillis par Chloé Pilorget-Rezzouk
nouvelobs.com
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